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Les différences culturelles au travail (Première partie)

Chacun vante les différences interculturelles pour leur aspect enrichissant et l’ouverture d’esprit qu’elles apportent en termes de créativité, d’innovation et d’amélioration des process au sein des entreprises. Mais la réalité peut être bien différente et apporter frustration et tensions au sein des équipes quand elles sont mal appréhendées.

Laurence Romani, chercheur en Leadership au centre d’études avancées en leadership à Stockholm, Anne et Marlène, Françaises expatriées en Suède, Safete, Kosovar ayant immigrée en Suède à l’adolescence et Marcus, Suédois, ont accepté de se prêter au jeu des différences.

Les stéréotypes français et suédois, utiles si on les sait les dépasser

Passons en revue quelques stéréotypes bien connus : la distance hiérarchique, la prise de décision et la gestion des émotions.

La distance hiérarchique

En France, le chef décide et est responsable. Il est de fait accepté qu’il exerce un contrôle des tâches réalisées par ses collaborateurs. Le Français ne remet pas en question ce contrôle, même si il peut parfois critiquer la manière dont il est exercé. En Suède, pays prônant une hiérarchie plate où le chef n’a qu’un rôle de convenance, ce contrôle est perçu comme la démonstration d’un manque de confiance et peut démotiver les équipes.

“Féodal”, c’est l’adjectif utilisé par les Suédois pour décrire la hiérarchie à la française et les privilèges qui lui sont associées alors que les Français y verront plutôt clarté organisationnelle, définition des rôles et des responsabilités. “Flou”, “faible” seront associés potentiellement par les Français à la hiérarchie et au manager suédois quand les Suédois y verront confiance, co-construction des organisations et des projets, égalité.

En France, une distance est maintenue entre les parties via l’usage du vouvoiement. Et puis on conçoit de participer à des réunions orientées vers la résolution de problèmes sans qu’aucune relation interpersonnelle particulière ne s’établisse. S’il y a une bonne entente, c’est un plus mais cela reste optionnel. En Suède, un temps est alloué à la construction d’une relation de confiance. Marcus note à quel point il pouvait être choqué de voir une collègue française, lors de réunions, parler très directement de ce qui n’allait pas. En Suède, la réunion serait plus “ronde”, avec le risque parfois pour les participants de ne pas oser s’exprimer.

Le consensus, la prise de décision et le fika

En Suède, pas de décision sans consensus. Chacun peut se faire entendre avant qu’une décision ne soit prise. En Suède comme ailleurs, il est difficile de mettre tout le monde d’accord. Le consensus prime sur la rapidité de délibération, ce qui peut franchement décontenancer un Français habitué à ce que la décision soit prise tout de suite à l’issue d’une réunion quitte à la modifier lors de sa mise en place. Le Suédois, lui, se montre moins flexible dans la remise en question de cette décision, prise à la fin d’un long processus, sans doute parce que cela signifierait de reprendre tout depuis le début.

Le fika joue un rôle important dans ces habitudes de travail. Il s’agit d’un moment du lien se crée, la distance hiérarchique est cassée et les décisions à prendre sont discutées de manière plus ou moins formelle autour de la machine à café. La principale différence ici est que le fika est institutionnalisé dans la vie des entreprises suédoises, quand la pause-café française reste officieuse. Pourtant le chef en France en charge de prendre les grandes décisions stratégiques ne recherche-t-il pas également le consensus pour la mise en place du projet et ses grandes lignes directrices ?

Le feed-back et la gestion des émotions

Le feed-back est un point de profondes incompréhensions entre les cultures. Certains vont mettre en avant les points positifs, d’autres vont tourner positivement des points d’amélioration, d’autres encore ne vont traiter que des points d’amélioration et terminer potentiellement sur les points positifs. C’est notamment le cas de la France et de la Suède : en France, les feedbacks sont principalement axés sur les points à améliorer. D’ailleurs, il est commun de chercher à approfondir un feed-back “trop” parfait pour identifier ce qui pourrait être mieux fait. Le hic est que cette recherche constante d’amélioration peut fortement démotiver, les Français eux-mêmes tout d’abord mais aussi les Suédois qui sont habitués à naviguer dans une culture où le maintien d’une bonne entente est primordial : les Nej (non) deviennent des Nja (moui), les “peut mieux faire” deviennent des “vad duktig” censés encourager. Les feedbacks à la française peuvent heurter très fortement les collaborateurs suédois qui pourront les recevoir comme des attaques personnelles.

Cela est également vrai avec les prestataires ! Des mails tranchés sur les points négatifs pourront les les faire “fuir” dans le sens où ils seront moins enclins à vous donner une prestation de qualité. La contrepartie est que, quand un client français ne manque pas de vous exprimer son insatisfaction, le client suédois, lui, garde le silence à votre contact mais va s’épancher sur les réseaux sociaux, ne vous laissant pas la possibilité de répondre à ses besoins et causant potentiellement plus de dommages que s’il vous en avait parlé directement.

La manière de donner et de recevoir un feedback dépend fortement des habitudes culturelles de chacun mais également de la manière dont nous avons appris à gérer nos émotions. Nous nous heurtons là à une des plus grandes différences entre la France et la Suède, d’autant plus difficile à vivre que la gestion des émotions ne concerne pas une simple habitude de travail mais une part de notre personnalité et la manière dont nous interagissons avec le monde qui nous entoure.

Quand le Français râle, tape du poing sur la table, bougonne et entre dans une joute verbale pour exprimer son désaccord, le Suédois reste flegmatique et silencieux. Seul l’œil exercé pourra noter les tressaillements de sa jugulaire, preuve qu’il est passablement énervé !

Marcus prend l’exemple d’une de ses collègues françaises qui ne manquait pas d’annoncer de bon matin l’humeur massacrante dans laquelle elle se trouvait. Au fur et à mesure de leur collaboration, il a appris à mesurer son état d’esprit rien qu’au bruit de ses pas ! A contrario, les Français jugent hypocrite l’absence d’émotions affichées et le silence froid et courtois de leurs homologues suédois.

Caricatural mais intéressant, n’est-ce-pas ? De nombreuses autres différences pourraient être soulignées : la reconnaissance du travail effectué, la gestion du temps de travail ou encore la segmentation des tâches… Difficile de tout traiter en quelques lignes. Le plus important ici est de retenir que le stéréotype n’est que le sommet de l’iceberg, qu’il n’est qu’une petite partie d’une réalité façonnée par notre manière de voir le monde.

Les différences culturelles au travail présupposent aussi de savoir faire la distinction entre ce qui relève d’une culture, de l’être humain et de sa personnalité. Ce sera l’objet du prochain article.

Article publié sur Lepetitjournal.com/stockholm